L’intelligence artificielle (IA) bouleverse profondément la gouvernance d’entreprise, en particulier au sein des comités de direction. En France, selon le dernier rapport Microsoft AI Work Index (2024), 75 % des salariés déclarent déjà utiliser des outils d’IA au travail, mais seulement 39% ont bénéficié d’une formation. Ce décalage est symptomatique d’un enjeu plus profond : l’IA n’est pas seulement un outil opérationnel, elle modifie la manière dont les décisions sont prises, les priorités stratégiques définies et la culture d’entreprise façonnée. Alors que de nombreuses entreprises expérimentent l’IA dans des départements isolés, peut-on encore oser structurer son intégration au plus haut niveau de décision. Et pourtant, réussir l’intégration de l’IA au sein du CODIR est devenu essentiel pour éviter une fracture numérique interne, garantir la cohérence stratégique et assurer la compétitivité à long terme.
En quoi l’IA constitue un changement spécifique
L’IA transforme la gouvernance bien au-delà des transformations numériques traditionnelles. Là où les précédentes innovations technologiques ont souvent été cantonnées à des fonctions support (RH, finance, logistique), l’IA remet en question la nature même du travail intellectuel et décisionnel. Elle rend visibles les biais, optimise les arbitrages complexes, anticipe les tendances de marché en temps réel, et surtout, elle modifie la temporalité des décisions. Dans ce contexte, le CODIR n’a plus uniquement un rôle de superviseur : il devient un acteur direct de l’expérimentation et de la co-construction de nouveaux modes de pilotage. Cela nécessite des compétences nouvelles, une capacité à interroger ses certitudes, et un dialogue renouvelé entre directions métiers et direction générale. Intégrer l’IA dans les pratiques du CODIR, c’est accepter une redéfinition du leadership.
L’exemple de Forvis Mazars
Forvis Mazars, acteur majeur de l’audit et du conseil en France, illustre avec clarté comment un groupe peut intégrer l’IA au sein même de sa gouvernance. Consciente des transformations à venir, l’entreprise a investi massivement pour former l’ensemble de ses 5 000 collaborateurs, y compris les membres du CODIR, à l’usage de Microsoft Copilot, un outil conversationnel alimenté par l’IA. Cette démarche n’est pas restée cantonnée à l’outil : elle s’est accompagnée d’un vaste programme de formation interne, orchestré par la direction elle-même, pour garantir une appropriation par tous. L’enjeu affiché : faire de l’IA un réflexe professionnel quotidien, y compris dans les tâches les plus stratégiques.
L’approche a été résolument pragmatique : au-delà des grandes déclarations, chaque collaborateur a été invité à identifier les cas d’usage concrets de l’IA dans son activité. Florence Sardas, membre du comité exécutif, a piloté cette transformation en insistant sur l’importance d’une implication forte de la direction dans ce changement culturel. Grâce à cette approche globale – outils, formation, acculturation – Forvis Mazars a réussi à transformer une innovation technologique en levier de performance collective. Le bilan est déjà mesurable : gains de temps significatifs dans la rédaction de documents, meilleure qualité des analyses, montée en compétences des équipes, mais surtout, une gouvernance plus fluide, capable d’anticiper et de piloter des transformations complexes avec agilité.
Comment aligner le CODIR sur une stratégie commune
L’un des défis majeurs est d’obtenir un alignement stratégique du CODIR autour des enjeux de l’IA. Ce travail ne peut pas être délégué aux seuls experts techniques ou à un Chief AI Officer. Il implique un diagnostic partagé sur les usages actuels, les freins culturels et les potentiels sectoriels. Cela passe par des ateliers de réflexion stratégique, des partages de benchmarks internationaux, et surtout, la construction d’un langage commun sur l’IA. L’objectif est de sortir d’un discours trop technique pour adopter une lecture business de l’IA : où crée-t-elle de la valeur ? Où risque-t-elle d’en détruire ? Quelles sont les attentes éthiques et sociales autour de ses usages ? En impliquant tous les membres du CODIR dans cette réflexion, on facilite l’émergence d’une vision commune et opérable, qui servira de boussole aux projets de transformation à venir.
Comment accompagner sa mise en place
L’accompagnement de l’intégration de l’IA dans le quotidien du CODIR ne peut être improvisé. Il repose sur une double logique : acculturation et expérimentation. D’un côté, il faut permettre à chaque dirigeant de comprendre les enjeux technologiques, éthiques et opérationnels de l’IA à travers des formations sur mesure. De l’autre, il faut créer des espaces sécurisés d’expérimentation, où les membres du CODIR peuvent tester, itérer, se tromper et apprendre. Cette approche « test & learn » permet de dédramatiser l’IA, souvent perçue comme opaque ou complexe. L’enjeu est aussi managérial : il s’agit de faire évoluer les postures, d’encourager l’ouverture, la curiosité, et de valoriser les prises d’initiative autour de l’innovation. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’importance des outils de pilotage. Tableaux de bord IA, indicateurs de maturité, retours d’expérience réguliers sont autant de leviers pour ancrer l’IA dans la routine décisionnelle du CODIR.
Conclusion : Une opportunité de transformation collective
Intégrer l’IA au sein du CODIR, c’est faire le choix d’une transformation profonde et structurante. À travers l’exemple de Forvis Mazars, on comprend que cette démarche ne repose pas seulement sur des outils ou des budgets, mais sur une volonté politique forte, portée au plus haut niveau.
L’IA offre une occasion unique de revisiter les pratiques de gouvernance, de renforcer la transversalité et de faire émerger une culture de la donnée partagée. Pour réussir, les entreprises doivent dépasser la logique de projet technique et entrer dans une dynamique d’apprentissage collectif, alignée sur une vision stratégique claire. Le chemin est exigeant, mais il ouvre des perspectives immenses en termes de compétitivité, d’innovation et de performance.